Le bouddhisme theravada1
par Cécile Forget
Aux alentours du VIème siècle, le peuple Môn s'installe en Basse Birmanie et introduit deux éléments fondamentaux à l'unification et au développement du pays : la culture du riz et le bouddhisme Theravâda. Ce courant bouddhiste servira de socle à la centralisation de l'autorité de l'Etat birman et se concrétisera par l'édification d'un nombre très élevé de temples qui constituent aujourd'hui un patrimoine d'une richesse exceptionnelle.
Celui qui allait devenir le Bouddha, Siddhatta Gotama, naquit à Lumbini dans le nord de l’Inde, au VIe siècle avant Jésus-Christ. Son père, Suddhodana et sa mère, la reine Mâyâ règnaient sur le royaume des Sâkyas. Eduqué dans le luxe et les plaisirs, à l’abri de la souffrance, il fut soudainement confronté à la réalité de la maladie, de la vieillesse et de la mort. A l’âge de vingt-neuf ans il décide de se mettre en quête d’une solution et abandonne subrepticement le palais de son père pour devenir un ascète errant. Il se rend d’abord chez des maîtres très connus à l’époque qui vont lui enseigner la méditation samatha2 ; insatisfait, il les quitte pour se tourner vers l’ascétisme. Les six années qu’il passera à pratiquer les mortifications ne lui apporteront pas la réponse aux questions qu’il se posait. Il abandonne alors toutes ces pratiques pour suivre son propre chemin : ni trop austère, ni trop laxiste. C’est la Voie du Milieu. Il se met à méditer et un soir, à Bodhgaya, assis sous un figuier connu depuis comme l’arbre de la bodhi, ou « arbre de l’illumination », Gotama attint l’IIllumination et devint « le Bouddha », l’Eveillé. Il avait trente-cinq ans.
Par compassion pour les êtres, il décide d’enseigner afin de les aider à se libérer eux aussi, de la souffrance. C’est au Parc des Gazelles à Isipatana, près de Bénarès, qu’il prononcera le Dhamma-cakkappavattana-sutta, « Le sermon de la mise en mouvement de la roue du Dhamma3», son premier enseignement. L’auditoire était constitué de ses cinq anciens compagnons de route.
Le Bouddha mourra à Kusinârâ, après avoir enseigné le Dhamma pendant 45 ans et après avoir fondé un ordre monastique, la Sangha.
Les trois grandes écoles
Le Theravâda (Voie des Anciens), le Mahâyâna (Grand Véhicule) et le Vajrayâna (Véhicule du Diamant) sont actuellement les trois principales formes du bouddhisme.
Le Theravâda, (anciennement Hânayâna ou Petit Véhicule) est considéré comme l’orthodoxie originale ; ce courant s’est développé au Sri Lanka, au Myanmar, en Thaïlande, au Cambodge, au Laos. Il s’appuie sur le Ti-pitaka, les Trois Corbeilles, canon des textes pâlis.
Le Mahayâna, un peu plus tardif, s’est répandu en Chine, en Corée, au Vietnam et au Japon.
Quant au Vajrayâna, c’est à partir VIe siècle de notre ère qu’il fut introduit au Tibet par un courant ininterrompu de moines et d’érudits venus de l’Inde.
Malgré certaines différences principalement en ce qui concerne les croyances et les rituels, ces trois grandes écoles s’accordent sur l’essentiel : les Quatre nobles vérités, le Noble Octuple Sentier.
L’enseignement
Selon le Bouddha, même si certains échappent à la maladie physique, les êtres sont tous « malades » mentalement. Cette maladie mentale, ce sont les innombrables « mal-aises » dus à la colère, à l’avidité, à l’ignorance et au cortège des états d’esprits qui en découlent: dès qu’il y a désir, jalousie, haine, orgueil dans l’esprit, il y a « mal-aise ».
Le Bouddha est considéré comme le Grand Médecin, capable de diagnostiquer notre maladie et de proposer un remède pour nous en guérir. Mais le Bouddha n’est pas un sauveur : « L’effort, c’est à vous qu’il appartient de le faire ; les Tathâgatas4 ne font qu’indiquer le chemin. »
Les quatre nobles vérités
L’enseignement du Bouddha se structure autour de certaines vérités qui lui apparurent au cours de sa pratique. Ce sont les Quatre Nobles Vérités .
1.La Noble Vérité de la Souffrance (Dukkha-ariyasacca)
« Voici, ô moines la noble Vérité de la souffrance: la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, l’union avec ce qu’on n’aime pas est souffrance, la séparation d’avec ce qu’on aime est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance, en résumé, les cinq agrégats d’attachement sont souffrance. »
La première noble vérité est généralement traduite par : « La Noble Vérité de la Souffrance ». Mais Dukkha est une notion très subtile. Sa traduction en français par “souffrance” est insatisfaisante car ce terme ne recouvre pas toute la signification du mot pâli. Dans les écritures, on reconnaît Trois Niveaux de Dukkha, trois sortes de souffrances : la souffrance ordinaire, la souffrance due aux changements et la souffrance due au fait qu’un « être » n’est qu’une suite de phénomènes à la fois conditionnés et conditionnants. Cette troisième forme de dukkha, samkhâra-dukkha, est la plus difficile à comprendre. Il faut mentionner ici certaines notions fondamentales dans le bouddhisme.
Anicca, l’impermanence: selon le Bouddha, l’individu, l’âme, l’égo n’existent pas réellement ; ce ne sont que des étiquettes que l’on colle à un ensemble d’énergies physiques et mentales en perpétuel changement. A l’intérieur de soi, il n’y a que des mécanismes de l’esprit et de la matière qui se succèdent à très grande vitesse en s’enchaînant l’un à l’autre et personne pour en être le dépositaire.
Ce troisième aspect de dukkha sera clairement compris par le méditant au moment où il réalisera l’impermanence des phénomènes. Le méditant vipassanâ5 va observer très attentivement tout ce qui se manifeste en lui, au niveau du corps et au niveau de l’esprit ; progressivement, il va réaliser que les phénomènes apparaissent et disparaissent continuellement à l’intérieur de lui, que rien ne dure; il ne voit qu’une suite incontrôlable de causes et d’effets: c’est anicca, l’impermanence des phénomènes. En réalisant anicca, le méditant réalise automatiquement dukkha, la première noble vérité.
2. La Noble Vérité de l’Origine de la Souffrance (Dukkhasamudaya-ariyasacca)
« C’est cette soif, qui produit la re-existence et le re-devenir, qui est liée à une avidité passionnée et qui trouve sans cesse une nouvelle jouissance tantôt ici, tantôt là, à savoir la soif des plaisirs des sens , la soif de l’existence et du devenir et la soif de la non-existence.»
La deuxième Noble Vérité annonce que le désir avide est la cause de la souffrance. Mais il y a en fait beaucoup de causes à dukkha car selon le bouddhisme, tout est interdépendant.
3. La Noble Vérité de la cessation de la souffrance (Dukkhanirodha-ariyasacca)
« C’est la cessation complète de cette soif, la délaisser, y renoncer, s’en libérer, s’en détacher ».
Le désir dépend pour son apparition, de l’ignorance. Si l’on veut éradiquer le désir, il faudra donc commencer par éliminer l’ignorance. Sans l’ignorance, le désir ne se manifeste plus et sans désir, dukkha n’apparaît plus. On atteint un état nommé Nibbâna : c’est l’extinction de la soif, la « libération du désir insatiable ».
Le Nibbâna est une expérience supra-humaine qu’il n’est pas possible de comprendre pleinement tant qu’on ne l’a pas vécu directement par soi-même dans la méditation. A de nombreux endroits des Ecritures, il y est fait allusion, souvent en termes négatifs: “extinction de la soif”, “non-composé”, “inconditionné”, “cessation”, "état sans mort”, etc... Cette façon négative d’évoquer le Nibbâna a pu faire croire que la pratique du bouddhisme mène à l’auto-annihilation. Mais il faut bien se rendre compte que ce qu’on va annihiler, c’est l’illusion du « moi », c’est la vue fausse qui fait croire à la réalité du “moi”. Avec le développement de la sagesse (la compréhension expérimentale), la capacité à accepter la réalité va se renforcer et, progressivement, seul le nibbâna apparaîtra comme réel, par opposition au samsâra qui est changement et conflit permanent.
4. La Noble Vérité du chemin menant à la cessation de la souffrance (Dukkhanirodhagâminâpatipadâ-ariyasacca)
« C’est le Noble Sentier Octuple, à savoir : la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, le moyen d’existence juste, l’effort juste, l’attention juste, la concentration juste. »
On accède à la cessation de la souffrance en développant le Noble Octuple Sentier. Ce sentier est dit « du milieu » parce qu’il évite les deux extrêmes : la poursuite du bonheur par la satisfaction sensuelle, ce qui est « bas, commun, sans profit et la manière des gens ordinaires » ; et la poursuite du bonheur par la mortification, ce qui est « douloureux, indigne et sans profit ».
La méditation vipassanâ
La méditation vipassanâ est le cœur du bouddhisme théravadin. La pratiquer, c’est mettre en application le Noble octuple Sentier, remède que nous propose le Bouddha pour nous libérer de la souffrance. Il ne s’agit pas de philosophie ni de spéculation métaphysique; c’est une méthode d’investigation de notre propre corps et de notre propre esprit dans le but de nous libérer d’une vision fausse de la réalité.
Les huit facteurs de l’Octuple Sentier sont regroupés en trois sections ou « entraînements » :
- Silâ, la moralité. C’est le fondement de la pratique. Le méditant vipassanâ s’engage à respecter les préceptes moraux comme fondement pour sa pratique. Cette première section comprend trois facteurs.
La parole juste, (sammâ vâcâ) consiste à s’abstenir du mensonge, de la calomnie, de tout langage brutal et de tout bavardage inutile. L’action juste, (sammâ kammanta) veut qu’on s’abstienne de voler, de tuer, de pratiquer l’adultère, de consommer des substances intoxicantes. Quant aux moyens d’existence justes, (sammâ âjâva) ils consistent à éviter d’exercer une profession qui nuit aux autres et à respecter l’action juste et la parole juste dans le cadre des activités professionnelles.
Les préceptes moraux sont exprimés de façon négative, mais ils doivent également être pratiqués sous leur aspect positif : bienveillance, générosité, renoncement, sincérité, méditation. - Samâdhi, la concentration. C’est la méditation proprement dite. Cette section comprend trois facteurs: l’effort juste (sammâ vâyâma), l’attention juste (sammâ sati) et la concentration juste (sammâ samâdhi). Le méditant devra fournir un effort pour maintenir son attention sur les différents objets et développer ainsi la concentration.
- Paâñâ, la sagesse, qui est le résultat de la pratique. Elle comprend deux facteurs : La compréhension juste (sammâ dhitti) qui consiste essentiellement à appréhender les quatre Nobles Vérités et à réaliser l’impermanence des phénomènes (anicca), la souffrance (dukkha) et le non-soi (anatta) par expérience directe, dans la méditation. Et la pensée juste (sammâ sankappa), une pensée exempte d’égoïsme, de malveillance, de haine et de cruauté.
Les deux familles de méditation
En pali, méditation se dit bhâvanâ, ce qui signifie littéralement “entraînement de l’esprit”. Dans le bouddhisme, il existe deux familles de bhâvanâ: la méditation de la tranquillité ou samatha bhâvanâ, et la méditation de la vision pénétrante ou vipassanâ bhâvanâ. Elles diffèrent par leur but et par leur méthode.
Le but de samatha est d’atteindre la tranquillité par la concentration. L’esprit concentré est débarrassé des impuretés et ainsi amené à expérimenter des états de concentration élevés appelés jhânas, ce qui signifie « absorption ». Sa méthode consiste à fixer l’attention sur un seul objet. Mais le calme et la sérénité de samatha sont limités à la durée de l’absorption. Dès que le méditant en sort, il retrouve ses états d’esprit habituels.
Le but de vipassanâ est d’atteindre nibbâna, la libération, la cessation de toute souffrance. Sa méthode consiste en un examen minutieux et précis de tous les processus physiques et mentaux qui nous constituent, pour arriver à comprendre la véritable nature du moi. Il y a ici une grande variété d’objets d’attention : le corps physique, les sensations, les états d’esprit… soit tout ce que l’on est susceptible d’expérimenter dans le corps et dans l’esprit. Par la pratique de vipassanâ, le méditant pourra réaliser les Quatre Nobles Vérités en profondeur et se libérer de la souffrance.
Vipassanâ est la seule technique de méditation proprement bouddhique. Les méditations de type samatha se retrouvent dans beaucoup d’autres traditions, notamment dans l’hindouisme et dans le christianisme. La voie bouddhique dans son ensemble est une voie de purification, un Vissuddhi Magga. Le but, c’est la libération de la souffrance. Cette libération ne pourra être obtenue que par la purification progressive au niveau des actes et des paroles, par sâla ; au niveau de l’esprit par samâdhi et au niveau des dispositions latentes, par paññâ.
-
Les mots en italique sont des termes pâlis, langue indo-aryenne très ancienne, proche du sanskrit.
-
Voir plus loin : les deux familles de méditation
-
Dhamma : mot pali aux multiples significations. Lorsqu’il désigne l’enseignement du Bouddha, il prend une majuscule.
-
Tathâgata : « Celui qui a découvert la vérité ».
-
Vipassanâ : la méditation bouddhiste qui mène à la sagesse, ou compréhension intuitive.