Le Tour du Monde... en 80 flûtes
par Annie Ploquin-Rignol
Les archéologues ont retrouvé des flûtes vieilles de 35 000, voire 50 000 ans ! Il est donc sûr que, depuis des millénaires et sur tous les continents, les flûtes accompagnent les activités de l’humanité : chasser, communiquer, prier, accompagner les rituels, rythmer le cycle des saisons et des récoltes, voyager, faire la guerre, faire la fête, se réunir, accompagner les danses, courtiser, se distraire, exprimer ses sentiments, ses émotions, ses croyances...
Toutes les flûtes ont pour point commun un mode de production du son très simple : un jet d’air qui rencontre une arête, procédé utilisé aussi pour souffler dans une bouteille, un bouchon de stylo, un tube quelconque... ou, tout simplement, dans ses mains fermées ! A partir de ce mode de production du son tellement simple, les flûtes se comptent pourtant par centaines, peut-être même par milliers à travers le monde. Chacune possède sa propre personnalité, mais, malgré cette richesse de formes et cette diversité de timbres, on identifie presque toujours sans hésiter à l’écoute « une flûte ».
On distingue deux grandes familles de flûtes : les flûtes à conduit et celles à embouchure libre. Une troisième famille, un peu à part, est celle des flûtes globulaires. Dans chacune de ces familles il y a lieu de distinguer plusieurs sous-familles1.
Les flûtes à conduit
Où il est simple de produire un son : il suffit de souffler, et le jet d’air est dirigé automatiquement vers le biseau grâce à la facture de l’instrument, la manière dont la flûte est fabriquée. Bien sûr, si émettre un son est facile, maîtriser toutes les nuances, inflexions et subtilités propres à chaque musique reste un art complexe.
Cette famille comprend essentiellement deux sous-familles: les flûtes à bloc, comme la bien connue « flûte à bec » et les flûtes à bandeau.
De nombreuses flûtes à conduit sont des flûtes à bloc : dans un tube creux, on taille une « fenêtre » (où se trouve donc le biseau que l’air va rencontrer pour produire le son), puis on introduit un bloc à l’extrémité supérieure, bloc taillé avec une grande précision afin qu’il dirige l’air vers le biseau. On les trouve essentiellement en Europe, mais aussi en Amérique et ponctuellement en Asie et en Afrique. La sous-famille des flûtes à bandeau est surtout présente en Indonésie. On cueille un tronçon de bambou en gardant le nœud à l’extrémité supérieure, puis on taille une encoche au niveau du nœud et on place un bandeau souvent formé d'une bande de palme (palmier) ou de rotin pour la transformer en flûte à conduit. Pour en jouer, on pratique souvent la respiration continue.
Les flûtes à embouchure libre
C’est le flûtiste qui doit donner au jet d’air la bonne vitesse et la bonne direction pour produire un son, ce qui demande une grande précision qu’on acquiert avec beaucoup d’entraînement ! Les flûtes à embouchure libre se répartissent en quatre sous-familles distinctes.
Un simple tube, une bouteille, et on a déjà une flûte ! C’est le mode de production du son utilisé pour de nombreuses flûtes traversières et flûtes polycalames (flûtes de Pan) dans le monde.
Les flûtes traversières, comme leur nom l'indique se tiennent « en travers », perpendiculairement au corps (et donc parallèles aux lèvres). Attention, certaines flûtes «traversières » (qui se tiennent en travers) ne sont pas des flûtes à embouchure libre mais des flûtes à conduit comme le mohoceño de Bolivie.
Les flûtes traversières sont (en général) un tube fermé à une extrémité et ouvert à l’autre. Un trou d’insufflation est placé relativement près de l’extrémité fermée, puis des trous de jeu (pour poser les doigts), en nombre variable sont percés le long du tube, ils servent à faire varier la hauteur du son.
Les flûtes polycalames, souvent appelées « flûtes de Pan », sont quant à elles composées de plusieurs tubes de différentes longueurs juxtaposés et assujettis entre eux, souvent par de très belles ligatures. Ce sont aussi parfois des trous percés dans un seul morceau de matière (en général du bois, parfois une autre matière). Les flûtes polycalames utilisent le même mode de production du son que les flûtes traversières, mais on doit faire glisser la flûte sur les lèvres pour jouer. Il existe aussi de par le monde de nombreux « ensembles de tubes » où chaque musicien joue une seule note sur un seul tube, la musique ne prend son sens que collectivement.
Les flûtes à embouchure et arête de jeu terminale, parfois appelées improprement « flûtes obliques », sont de simples tubes percés de trou. On souffle en général directement sur l’arête de l’extrémité supérieure du tube, le plus souvent biseautée. Ce sont des flûtes réputées difficiles. Il existe deux techniques de jeu : la technique labiale, avec les lèvres en avant comme pour siffler ou faire un bisou, et la technique dentale où la flûte est positionné entre les dents, bouche entrouverte, on forme le jet d’air avec la langue. Certaines flûtes à embouchure et arête de jeu terminale (ney turc, ney iranien, nay arabe) sont utilisées dans la musique savante, notamment pour accompagner les danses mystiques des derviches tourneurs de la branche Soufie de l’Islam. D’autres sont utilisées dans la musique populaire ou par les bergers.
Les flûtes à encoche sont constituées d’un tube que l’on tient verticalement, une encoche est taillée à l’extrémité supérieure de la flûte pour faciliter la production du son et des trous de jeu sont en général percés pour les doigts pour faire varier la hauteur. Les flûtes à encoche sont particulièrement présentes en Asie et dans la Cordillère des Andes, mais on en trouve aussi ponctuellement en Afrique et en Océanie. On n’en connait pas en Europe, hormis certaines flûtes préhistoriques.
Mais certaines flûtes à encoche n’ont pas de trous de jeu, il s’agit de simples tubes utilisés collectivement.
Les flûtes « globulaires »
Les flûtes globulaires sont une catégorie un peu à part. Elles ne sont pas des « tubes », comme la plupart des flûtes, mais des « récipients » creux qui peuvent prendre des formes très différentes. Les flûtes globulaires – qu’on connaît souvent aujourd’hui sous le nom d’ « ocarina », mot italien du XIXe siècle qui signifie « petite oie » - existent depuis des siècles et peut-être des millénaires partout dans le monde, bien avant que l’instrument et son nom ne deviennent célèbres en Europe. Fabriquées le plus souvent en terre, elles se sont bien conservées et on a notamment retrouvé un xun chinois datant de 7 000 ans environ ainsi que de nombreuses flûtes globulaires datant de plusieurs siècles en Méso-Amérique et en Amérique du Sud. Quant aux « phalanges sifflantes » qui fonctionnent également comme des résonnateurs de Helmholtz, les plus anciennes retrouvées datent du paléolithiques, c’est-à-dire il y a plus de 40 000 ans.
Ce sont des flûtes dont le corps — qu’il soit ovoïde, sphérique, zoomorphe, naviforme, allongé ou parallélépipédique — constitue une chambre résonante quasi close. Le principe physique qui les régit est celui des résonateurs de Helmholtz, un phénomène très complexe dont certains aspects restent encore imparfaitement compris par les acousticiens. Le mode de production du son est similaire à celui des autres flûtes : un jet d’air rencontre une arête, ce qui produit une vibration. Toutefois, la différence fondamentale réside dans la propagation du son qui confère aux flûtes globulaires leur sonorité caractéristique. Contrairement aux « flûtes-tubes » pour lesquelles la hauteur du son dépend de la longueur du tube, pour les flûtes globulaire la hauteur du son dépend du volume d’air contenu dans l’instrument ainsi que de la taille cumulée des trous ouverts. Il n’y a pas de propagation d’onde sonore à l’intérieur de l’instrument comme dans une flûte-tube : l’onde naît seulement quand l’air ressort de l’instrument. Il existe des flûtes globulaires à conduit, où l’air est dirigé par un canal aménagé, et des flûtes globulaires à embouchure libre, où l’instrumentiste souffle directement sur l’arête.
... et toutes les autres flûtes....
Il existe encore tout un univers de flûtes plus originales ou plus rares : flûte à double-chambre, flûtes traversières à conduit, flûtes nasales, flûtes anthropomorphes, zoomorphes, en corne et en os, sifflets et appeaux, flûtes harmoniques, flûtes doubles et triples, flûtes préhistoriques, flûtes dans lesquelles on ne souffle pas, flûtes tambourines, flûtes immenses, flûtes fabriquées dans des matières étranges, flûtes inventées de nos jours, objets du quotidien détournés en flûtes...
Les flûtes sont aussi à l’origine d’un riche patrimoine de contes, légendes, mythes et poésies, ainsi que de savoir-faire fascinants, offrant un sujet inépuisable d’exploration.
Les flûtes, dans toute leur diversité et leur simplicité, nous fascinent et nous inspirent. Ce « Tour du monde en 80 flûtes » n’est qu’un premier pas vers l’infini des sonorités, des formes, des histoires et des cultures qu’elles portent. Que ce souffle ancestral vous invite à poursuivre ce voyage, à écouter, explorer et partager ces voix multiples qui font vibrer le cœur de l’humanité !
Mise en ligne : novembre 2025
notes:
1. Certains instruments soufflés, comme les clarinettes, ressemblent à des flûtes mais utilisent une anche qui vibre sous l'effet du souffle pour produire le son. Flûtes et clarinettes appartiennent à des sous-familles distinctes dans l'organologie (ndlr).
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Exposition - animation par l’auteure
Perpignan © Laurent
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Tous droits réservés © Annie Ploquin-Rignol / Colophon, 2025 / Illustrations : Didier Demolin, Dominique, E.P., Laurent, Colophon / |
